lundi 13 septembre 2010

Devoir de maison n°1 (STI)

TSTI – DM n°1 Rentrée 2010


Kant : Que signifie la liberté de penser ? (texte 1)
À la liberté de penser s'oppose, en premier lieu, la contrainte civile. On dit, il est vrai, que la liberté de parler ou d'écrire peut nous être ôtée par une puissance supérieure, mais non pas la liberté de penser. Mais penserions-nous beaucoup, et penserions- nous bien, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d'autres, qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous communiquons les nôtres ? Aussi bien, l'on peut dire que cette puissance extérieure qui enlève aux hommes la liberté de communiquer publiquement leurs pensées, leur ôte également la liberté de penser - l'unique trésor qui nous reste encore en dépit de toutes les charges civiles et qui peut seul apporter un remède à tous les maux qui s'attachent à cette condition.
En second lieu, la liberté de penser est prise au sens où elle s'oppose à la contrainte exercée sur la conscience (Gewissenszwang). C'est là ce qui se passe lorsqu’en matière de religion en dehors de toute contrainte externe, des citoyens se posent en tuteurs à l'égard d'autres citoyens et que, au lieu de donner des arguments, ils s'entendent, au moyen de formules de foi obligatoires et en inspirant la crainte poignante du danger d'une recherche personnelle, à bannir tout examen de la raison grâce  à l'impression produite à temps sur les esprits.
En troisième lieu, la liberté de penser signifie que la raison ne se soumette à aucune autre loi que celle qu'elle se donne à elle- même. Et son contraire est la maxime d'un usage sans loi de la raison - afin, comme le génie en fait le rêve, de voir plus loin qu'en restant dans les limites de ses lois. Il s'ensuit comme naturelle conséquence que, si la raison ne veut point être soumise à la loi qu'elle se donne à elle-même, il faut qu'elle s'incline sous le joug des lois qu'un autre lui donne ; car sans la moindre loi, rien, pas même la plus grande absurdité  (Unsinn) ne pourrait se maintenir bien longtemps. Ainsi l’inévitable  conséquence de cette absence de loi dans la pensée ou d’un affranchissement des restrictions imposées par la raison, c’est que cette liberté de penser y trouve finalement sa perte. Et puisque ce n’est nullement la faute d’un malheur quelconque, mais d’un véritable orgueil, la liberté est perdue par étourderie (verscherzt) au sens propre du terme. […] Ainsi, la liberté de penser, quand elle va jusqu’à vouloir s’affranchir des lois mêmes de la raison finit par s’anéantir de ses propres mains.
Amis de l’humanité et de ce qui est le plus saint à ses yeux ! Qu’il s’agisse de faits, qu’il s’agisse de raisonnements, admettez ce qui vous paraîtra le plus digne de foi après un examen attentif et loyal. Mais ne contestez point à la raison ce qui en fait le souverain Bien sur la terre : je veux dire le privilège d’être la pierre de touche décisive de la vérité a).  […]
Ce débat, tout un chacun peut le mener avec soi-même ; en un tel examen, il verra bientôt l’enthousiasme (Schwärmerei) et la superstition perdre pied, même s’il est loin de posséder les connaissances pour les réfuter l’un et l’autre en vertu de raisons objectives. C’est en effet qu’il se sert simplement de la maxime de la conservation de la raison par elle-même. Instaurer les Lumières (Aufklärung), au moyen de l’éducation, en quelques sujets, est une chose aisée par conséquent ; il suffit d’habituer les jeunes esprits à une telle réflexion. Mais éclairer tout un siècle est très long et pénible. Il se trouve, en effet, des obstacles extérieurs qui peuvent en partie interdire ce genre d’éducation ou le rendre plus difficile.
a) Penser par soi-même signifie : chercher la pierre de touche de la vérité en soi – c’est-à-dire en sa propre raison. Et la maxime de toujours penser par soi-même est l’Aufklärung [c’est les Lumières]. Cela suppose bien moins que ne se l’imaginent ceux qui veulent voir l’Aufklärung dans les connaissances acquises ; elle consiste plutôt en un principe négatif de l’usage de la faculté de connaître et il arrive souvent que celui qui est abondamment pourvu de connaissances soit le moins éclairé sur leur usage. Se servir de sa propre raison ne signifie rien de plus que poser cette question au sujet de tout ce que l’on doit admettre : est-il possible de prendre pour un principe universel de l’usage de la raison celui en vertu duquel on admet quelque chose ou bien encore la règle qui dérive de ce que l’on admet. (note de Kant).

Kant, Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ? Vrin, pp. 86-87.

Kant : Les maximes de la pensée (texte 2)

Les maximes suivantes du sens commun n'appartiennent pas à notre propos en tant que parties de la critique du goût ; néanmoins elles peuvent servir à l'explication de ses principes. Ce sont les maximes suivantes : 1. penser par soi-même ; 2. penser en se mettant à la place de tout autre ; 3. toujours penser en accord avec soi-même. La première maxime est la maxime de la pensée sans prejugés, la seconde maxime est celle de la pensée élargie, la troisième maxime est celle de la pensée conséquente. La première maxime est celle d'une raison qui n'est jamais passive. On appelle prejugé la tendance à la passivité et par conséquent à l'hétéronomie de la raison ; de tous les préjugés le plus grand est celui qui consiste à se représenter la nature comme n'étant pas soumise aux règles que l'entendement de par sa propre et essentielle loi lui donne pour fondement, et c'est la superstition. On nomme les Lumières (Aufklärung) la libération de la superstition ; en effet, bien que cette dénonciation convienne aussi à la libération des préjugés en général, la superstition doit être appelée de préférence  un préjugé, puisque l'aveuglement en lequel elle plonge l'esprit, et bien plus qu'elle exige comme une obligation, montre d'une manière remarquable le besoin d'être guidé par d'autres et par conséquent l'état d'une raison passive. En ce qui concerne la seconde maxime de la pensée, nous sommes bien habitués par ailleurs à appeler étroit d'esprit (borné, le contraire d'élargi) celui dont les talents ne suffisent pas à un usage important (particulièrement à celui qui demande une grande force d'application). Il n'est pas en ceci question des facultés de la connaissance, mais de la manière de penser et de faire de la pensée un usage final ; et si petit selon l'extension et le degré que soit le champ couvert par les dons naturels de l'homme, c'est là ce qui montre cependant un homme esprit ouvert que de pouvoir s'élever au-dessus des conditions subjectives du jugement, en lesquelles tant d'autres se cramponnent, et de pouvoir réfléchir sur son propre jugement à partir d’un point de vue universel (qu'il ne peut terminer qu’en se plaçant au point de vue d'autrui). C'est la troisième maxime, celle de la manière de penser conséquente, qui est la plus difficile à mettre en œuvre ; on ne le peut qu'en liant les deux premières maximes et après avoir acquis une maîtrise rendue parfaite par un exercice répété. On peut dire que la première de ces maximes est la maxime de l'entendement, la seconde celle de la faculté de juger, la troisième celle de la raison.


Kant, Critique de la faculté de juger, § 40, Vrin, pp. 127-128
Kant : Qu’est-ce que les Lumières ? (texte 3)

Qu'est-ce que les Lumières ? - La sortie de l'homme de sa minorité, dont il porte lui-même la responsabilité. La minorité est l'incapacité de se servir de son entendement sans la direction d'autrui, minorité dont il est lui-même responsable s'il est vrai que la cause en réside non dans une insuffisance de l'entendement mais dans un manque de courage et de résolution pour en user sans la direction autrui. Sapere aude1, « Aie le courage de te servir de ton propre entendement », telle est la devise des Lumières.
Paresse et lâcheté sont les causes qui font que beaucoup d'hommes aiment à demeurer mineurs leur vie durant, alors que la nature les a affranchis depuis longtemps d'une direction étrangère (naturaliter maiorennes2) et c’est ce qui explique pourquoi il est si facile à d'autres de se poser comme leurs tuteurs. Il est si confortable d'être mineur ! Si j'ai un livre qui a de l'entendement à ma place, un directeur de conscience qui me tient lieu de conscience morale, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., quel besoin ai-je alors de me mettre en peine je n'ai pas besoin de penser pourvu que je puisse payer d'autres se chargeront bien de cette pénible besogne. Que la grande majorité des hommes (y compris le beau sexe tout entier) tienne pour très dangereux le pas qui mène vers la majorité - ce qui lui est d'ailleurs si pénible -, c'est ce à quoi veillent les tuteurs qui, dans leur grande bienveillance, se sont attribué un droit de regard sur ces hommes. Ils commencent par rendre stupide leur bétail et par veiller soigneusement à ce que ces paisibles créatures n'osent faire le moindre pas hors du parc où elles sont enfermées. Ils leur font voir ensuite le danger dont elles sont menacées si elles tentent de marcher seules. Ce danger n'est pourtant pas si grand : après quelques chutes, elles finiraient bien par apprendre à marcher. Mais un tel exemple rend cependant timide et dissuade ordinairement de toute autre tentative ultérieure. Il est donc difficile à chaque homme pris individuellement de parvenir à sortir d'une minorité qui est presque devenue pour. lui une nature. Et même il y a pris goût et il est pour le moment incapable de se servir de son propre entendement puisqu'on ne lui en a jamais laissé faire la tentative. Préceptes et formules, ces instruments mécaniques d'un usage de la raison, ou plutôt du mauvais usage des dons naturels, sont les fers qui enchaînent une minorité qui se prolonge. Mais celui qui secouerait ces chaînes ne saurait faire qu'un saut maladroit par-dessus le fossé le plus étroit, parce qu'il n'est pas encore habitué à pareille liberté de mouvement. Aussi peu nombreux sont ceux qui ont réussi à se dégager de la minorité par un travail de transformation opéré sur leur propre esprit, et à faire tout de même un parcours assuré.
Mais qu'un public s'éclaire lui-même, c'est plus probable. C'est même, pour peu qu'on lui en laisse la liberté, à peu près inévitable. Car il se trouvera toujours, y compris parmi les tuteurs attitrés du peuple, quelques individus pensant par eux-mêmes et qui, après avoir secoué le joug de la minorité, propageront autour d'eux l'esprit d'une appréciation raisonnable de la valeur et de la vocation propres de chaque homme à penser par soi- même. […]
KANT, Réponse à la question : « qu’est-ce que les Lumières ? », (1784) – Traduction du texte allemand par Jacqueline LAFFITE (extrait).

NOTES :

1. « Ose être sage » (formule empruntée à Horace, Epitres, II, livre I, vers 40)
2. Majeurs du point de vue de la nature, qui les a rendus adultes.

A partir de la lectures attentive des textes de Kant (DM n°1, textes 1 à 3),  vous répondrez aux questions suivantes :

1°) Que signifie « penser librement » ? Expliquez les différents sens que Kant donne à la liberté de penser.

2°) Qu’est-ce que « penser par soi-même » ?

3°) Montrez qu’il n’y a pas contradiction entre « penser par soi-même » et « penser en commun avec d’autres ». En quel sens peut-on aller jusqu’à dire qu’il n’est pas possible de « penser par soi-même » sans « penser en commun avec d’autres » ?

4°) Qu’est-ce que « les Lumières » selon kant ?

5°) Peut-on penser par soi-même ? En vous appuyant sur ces textes vous vous interrogerez sur les conditions de possibilité d’une libre pensée, ses obstacles, ainsi que les moyens d’une éventuelle libération.

Consigne : ces questions sont destinées guider votre réflexion dans l’explication des différents textes. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que les textes soient d’abord étudiés dans leur ensemble et leur cohérence.

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