lundi 13 septembre 2010

Devoir de maison n°1 (TS)



TS – DM n°1                   Rentrée 2010




Kant : Qu’est-ce que les Lumières ? (texte 1)

Qu'est-ce que les Lumières ? - La sortie de l'homme de sa minorité, dont il porte lui-même la responsabilité. La minorité est l'incapacité de se servir de son entendement sans la direction d'autrui, minorité dont il est lui-même responsable s'il est vrai que la cause en réside non dans une insuffisance de l'entendement mais dans un manque de courage et de résolution pour en user sans la direction autrui. Sapere aude1, « Aie le courage de te servir de ton propre entendement », telle est la devise des Lumières.
Paresse et lâcheté sont les causes qui font que beaucoup d'hommes aiment à demeurer mineurs leur vie durant, alors que la nature les a affranchis depuis longtemps d'une direction étrangère (naturaliter maiorennes2) et c’est ce qui explique pourquoi il est si facile à d'autres de se poser comme leurs tuteurs. Il est si confortable d'être mineur ! Si j'ai un livre qui a de l'entendement à ma place, un directeur de conscience qui me tient lieu de conscience morale, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., quel besoin ai-je alors de me mettre en peine je n'ai pas besoin de penser pourvu que je puisse payer d'autres se chargeront bien de cette pénible besogne. Que la grande majorité des hommes (y compris le beau sexe tout entier) tienne pour très dangereux le pas qui mène vers la majorité - ce qui lui est d'ailleurs si pénible -, c'est ce à quoi veillent les tuteurs qui, dans leur grande bienveillance, se sont attribué un droit de regard sur ces hommes. Ils commencent par rendre stupide leur bétail et par veiller soigneusement à ce que ces paisibles créatures n'osent faire le moindre pas hors du parc où elles sont enfermées. Ils leur font voir ensuite le danger dont elles sont menacées si elles tentent de marcher seules. Ce danger n'est pourtant pas si grand : après quelques chutes, elles finiraient bien par apprendre à marcher. Mais un tel exemple rend cependant timide et dissuade ordinairement de toute autre tentative ultérieure. Il est donc difficile à chaque homme pris individuellement de parvenir à sortir d'une minorité qui est presque devenue pour. lui une nature. Et même il y a pris goût et il est pour le moment incapable de se servir de son propre entendement puisqu'on ne lui en a jamais laissé faire la tentative. Préceptes et formules, ces instruments mécaniques d'un usage de la raison, ou plutôt du mauvais usage des dons naturels, sont les fers qui enchaînent une minorité qui se prolonge. Mais celui qui secouerait ces chaînes ne saurait faire qu'un saut maladroit par-dessus le fossé le plus étroit, parce qu'il n'est pas encore habitué à pareille liberté de mouvement. Aussi peu nombreux sont ceux qui ont réussi à se dégager de la minorité par un travail de transformation opéré sur leur propre esprit, et à faire tout de même un parcours assuré.
Mais qu'un public s'éclaire lui-même, c'est plus probable. C'est même, pour peu qu'on lui en laisse la liberté, à peu près inévitable. Car il se trouvera toujours, y compris parmi les tuteurs attitrés du peuple, quelques individus pensant par eux-mêmes et qui, après avoir secoué le joug de la minorité, propageront autour d'eux l'esprit d'une appréciation raisonnable de la valeur et de la vocation propres de chaque homme à penser par soi- même. Mais ce qu'il faut bien voir en même temps, c'est que le public qui aura été mis sous ce joug auparavant par les tuteurs, les forcera à leur tour à se soumettre, pour peu qu'il y soit incité par la découverte que certains sont eux-mêmes incapables de toute lumière ; tant il est préjudiciable d'inculquer des préjugés, parce qu'ils finissent par se venger de ceux-là mêmes qui en furent les auteurs ou de leurs prédécesseurs. Telle est la raison qui fait qu'un public ne peut accéder que lentement aux Lumières. Il est possible qu'une révolution entraîne la chute du despotisme personnel, qu'elle mette fin à une oppression inspirée par la cupidité ou l'ambition, mais jamais elle n'amènera une vraie réforme du mode de penser, et de nouveaux préjugés surgiront qui serviront aussi bien que les anciens à tenir en lisières un peuple qui ne pense pas.
Or, pour parvenir à ces Lumières, rien d'autre n'est requis que la liberté et à vrai dire la liberté la plus inoffensive de tout ce qui peut porter ce nom, à savoir celle de faire un usage public de sa raison, sous tous les rapports. J’entends de toutes parts lancer cet avertissement : Ne raisonnez pas ! L'officier dit: « Ne raisonnez pas, exécutez ! » Le conseiller au département du fisc dit: « Ne raisonnez pas, payez ! » Le prêtre dit: « Ne raisonnez pas, ayez la foi ! » (Il n'y a qu'un seul maître au monde3 qui dise : « Raisonnez autant que vous voudrez et sur tout ce que vous voudrez mais obéissez ») Partout en ce monde, il y a limitation de la liberté. Mais quelle limitation est une entrave aux Lumières, quelle autre ne l'est pas et au contraire les fait progresser ? Je réponds : l'usage public de notre raison doit toujours être libre et lui seul petit finir par amener les Lumières parmi les hommes. Mais l'usage privé qu'on fait de la raison peut souvent être très étroitement limité, sans pour autant empêcher notablement le progrès des Lumières. Par usage public de sa propre raison, j'entends l'usage qu'en fait quelqu'un à titre de savant, devant l'ensemble du public qui lit. Par usage privé, j'entends l'usage qu'il lui est permis de faire de sa raison dans l'exercice d'une charge civile ou d'une fonction déterminée qui lui sont confiées. Cela dit, pour maintes affaires qui concourent à l'intérêt de la communauté, un certain mécanisme est nécessaire au moyen duquel quelques membres de cette communauté doivent se comporter de façon purement passive afin d'être dirigés par le gouvernement, grâce à une unanimité artificielle, vers des fins publiques, ou du moins d'être empêchés de s'y opposer. Dans ce cas assurément, raisonner n'est pas permis ; il faut au contraire qu'on obéisse. Mais dans la mesure où cet individu, qui n'est qu'une pièce de la machine, se considère en même temps comme membre de toute une communauté, voire de la société civile universelle, il s'ensuit qu'en sa qualité de savant qui s'adresse par ses écrits à un public au sens propre du terme, il peut incontestablement raisonner sans qu'en souffrent les activités auxquelles il est proposé partiellement en tant que membre passif. Ainsi il serait désastreux qu'un officier à qui son supérieur vient de donner un ordre, veuille, dans l'exercice de ses fonctions, discuter bien haut de la rationalité des moyens envisagés ou de l'utilité de cet ordre : il faut qu'il obéisse. Mais on ne saurait équitablement lui interdire de faire des remarques en tant que savant sur les fautes commises en service de guerre et de les soumettre au jugement public. Le citoyen ne saurait refuser de payer les impôts dont il est redevable, et une critique mal avisée de ces charges alors qu'il doit s'en acquitter peut même être sanctionnée en tant que scandale (qui pourrait occasionner des actes d'insoumission  généralisés). Néanmoins, ce même homme n'agit pas à l'encontre de son devoir de citoyen s'il exprime publiquement, en tant que savant, sa façon de penser contre l'absurdité, voire l'injustice de telles impositions. De même, un prêtre est tenu de livrer son enseignement à ses catéchumènes et à ses paroissiens selon le symbole de l'Église qu'il sert, puisque c'est à cette condition qu'on lui en a confié la charge. Mais, en tant qu'homme instruit, il a entière liberté et même plus, il a la mission de s'ouvrir au public de toutes ses pensées soigneusement examinées et bien intentionnées, sur les imperfections que comportent ces symboles, et de lui communiquer des propositions en vue d'une meilleure organisation des affaires religieuses et ecclésiastiques. À cet égard, il n'y a rien non plus qui puisse être imputé à sa conscience, car ce qu'il enseigne  ne par suite de ses fonctions à titre de mandataire de l'Eglise, il le présente comme quelque chose qu'il n'a pas le pouvoir d'enseigner librement à son idée, mais qu'il est chargé d'enseigner selon les instructions et au nom d'un autre. Il dira: « Notre Église enseigne ceci ou cela. » «  Voici les arguments dont elle se sert. » Il tirera alors pour sa paroisse toute l'utilité pratique des préceptes auxquels lui-même ne souscrirait point avec une totale conviction mais qu'il peut néanmoins se permettre d'exposer, parce qu'il n'est quand même pas totalement impossible qu'il ne s'y trouve une vérité cachée, mais qu’en tout cas, on n'y rencontre rien qui soit en contradiction avec la religion intérieure. Car si tel était le cas, il ne pourrait en toute conscience exercer son ministère et il devrait s'en démettre. Donc l'usage qu'il fait de sa raison devant la communauté de ses fidèles en tant que leur pasteur est simplement un usage privé, parce que cette communauté, si vaste qu'elle soit, n'est jamais qu'une union familiale. Et par rapport à elle, il n'est pas libre, en tant que prêtre, et il ne lui est pas non plus permis de l'être puisqu'il exerce une charge qui lui a été déléguée par un autre. En revanche, en tant que savant qui par ses écrits s'adresse au public proprement dit, c'est-à-dire au monde, donc en tant qu'homme d'Église dans l'usage public de sa raison, il dispose d'une liberté illimitée de se servir de sa propre raison et de parler en son propre nom, car prétendre que les tuteurs du peuple, dans le domaine de la spiritualité, doivent être eux-mêmes mineurs, est une ineptie qui aboutirait à perpétuer les inepties. […]

KANT, Réponse à la question : « qu’est-ce que les Lumières ? », (1784) – Traduction du texte allemand par Jacqueline LAFFITE (extrait).

NOTES :

1. « Ose être sage » (formule empruntée à Horace, Epitres, II, livre I, vers 40)
2. Majeurs du point de vue de la nature, qui les a rendus adultes.
3. Allusion à Frédéric II de Prusse, « despote éclairé » aux yeux de Kant.

Kant : Les maximes de la pensée (texte 2)

Les maximes suivantes du sens commun n'appartiennent pas à notre propos en tant que parties de la critique du goût ; néanmoins elles peuvent servir à l'explication de ses principes. Ce sont les maximes suivantes : 1. penser par soi-même ; 2. penser en se mettant à la place de tout autre ; 3. toujours penser en accord avec soi-même. La première maxime est la maxime de la pensée sans prejugés, la seconde maxime est celle de la pensée élargie, la troisième maxime est celle de la pensée conséquente. La première maxime est celle d'une raison qui n'est jamais passive. On appelle prejugé la tendance à la passivité et par conséquent à l'hétéronomie de la raison ; de tous les préjugés le plus grand est celui qui consiste à se représenter la nature comme n'étant pas soumise aux règles que l'entendement de par sa propre et essentielle loi lui donne pour fondement, et c'est la superstition. On nomme les Lumières < Aufklärung > la libération de la superstition ; en effet, bien que cette dénoncia- tion convienne aussi à la libération des préjugés en général, la superstition doit être appelée de préférence (in sensu eminenti) un préjugé, puisque l'aveuglement en lequel elle plonge l'esprit, et bien plus qu'elle exige comme une obligation, montre d'une manière remarquable le besoin d'être guidé par d'autres et par conséquent l'état d'une raison passive. En ce qui concerne la seconde maxime de la pensée, nous sommes bien habitués par ailleurs à appeler étroit d'esprit (borné, le contraire d'élargi) celui dont les talents ne suffisent pas à un usage important (particulièrement à celui qui demande une grande force d'application). Il n'est pas en ceci question des facultés de la connaissance, mais de la manière de penser et de faire de la pensée un usage final ; et si petit selon l'extension et le degré que soit le champ couvert par les dons naturels < die Naturgabe > de l'homme, c'est là ce qui montre cependant un homme esprit ouvert < von erweiterter Denhungsart > que de pouvoir s'élever au-dessus des conditions subjectives du jugement, en lesquelles tant d'autres se cramponnent, et de pouvoir réfléchir sur son propre jugement à partir d’un point de vue universel (qu'il ne peut terminer qu’en se plaçant au point de vue d'autrui). C'est la troisième maxime, celle de la manière de penser conséquente, qui est la plus difficile à mettre en œuvre ; on ne le peut qu'en liant les deux premières maximes et après avoir acquis une maîtrise rendue parfaite par un exercice répété. On peut dire que la première de ces maximes est la maxime de l'entendement, la seconde celle de la faculté de juger, la troisième celle de la raison.


Kant, Critique de la faculté de juger, § 40, Vrin, pp. 127-128.

Kant : Que signifie la liberté de penser ? (texte 3)

Hommes de grand talent, vous qui avez des vites si larges ! J'honore votre talent, et j'affectionne votre sentiment de l'humanité. Mais avez-vous bien songé à ce que vous faites, et où la raison se verra entraînée par vos disputes ? Sans doute, vous désirez que la liberté de penser soit maintenue intacte : sans elle, en effet, c'en serait bientôt fini des libres élans de votre génie lui-même. Voyons ce qui doit naturellement suivre de cette liberté de penser, si le genre de méthode dont vous avez commencé de vous servir se généralise.
À la liberté de penser s'oppose, en premier lieu, la contrainte civile. On dit, il est vrai, que la liberté de parler ou d'écrire peut nous être ôtée par une puissance supérieure, mais non pas la liberté de penser. Mais penserions-nous beaucoup, et penserions- nous bien, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d'autres, qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous conmmuniquons les nôtres ? Aussi bien, l'on peut dire que cette puissance extérieure qui enlève aux hommes la liberté de communiquer publiquement leurs pensées, leur ôte également la liberté de penser - l'unique trésor qui nous reste encore en dépit de toutes les charges civiles et qui peut seul apporter un remède à tous les maux qui s'attachent à cette condition.
En second lieu, la liberté de penser est prise au sens où elle s'oppose à la contrainte exercée sur la conscience (Gewissenszwang). C'est là ce qui se passe lorsqu’en matière de religion en dehors de toute contrainte externe, des citoyens se posent en tuteurs à l'égard d'autres citoyens et que, au lieu de donner des arguments, ils s'entendent, au moyen de formules de foi obligatoires et en inspirant la crainte poignante du danger d'une recherche personnelle, à bannir tout examen de la raison grâce  à l'impression produite à temps sur les esprits.
En troisième lieu, la liberté de penser signifie que la raison ne se soumette à aucune autre loi que celle qu'elle se donne à elle- même. Et son contraire est la maxime d'un usage sans loi de la raison - afin, comme le génie en fait le rêve, de voir plus loin qu'en restant dans les limites de ses lois. Il s'ensuit comme naturelle conséquence que, si la raison ne veut point être soumise à la loi qu'elle se donne à elle-même, il faut qu'elle s'incline sous le joug des lois qu'un autre lui donne.

Kant, Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ? Vrin, pp. 86-87.


Kant : La mexime de toujours penser par soi-même, c’est les Lumières (texte 4)

Amis de l’humanité et de ce qui est le plus saint à ses yeux ! Qu’il s’agisse de faits, qu’il s’agisse de raisonnements, admettez ce qui vous paraîtra le plus digne de foi après un examen attentif et loyal. Mais ne contestez point à la raison ce qui en fait le souverain Bien sur la terre : je veux dire le privilège d’être la pierre de touche décisive de la vérité a).  […]
Ce débat, tout un chacun peut le mener avec soi-même ; en un tel examen, il verra bientôt l’enthousiasme (Schwärmerei) et la superstition perdre pied, même s’il est loin de posséder les connaissances pour les réfuter l’un et l’autre en vertu de raisons objectives. C’est en effet qu’il se sert simplement de la maxime de la conservation de la raison par elle-même. Instaurer les Lumières (Aufklärung), au moyen de l’éducation, en quelques sujets, est une chose aisée par conséquent ; il suffit d’habituer les jeunes esprits à une telle réflexion. Mais éclairer tout un siècle est très long et pénible. Il se trouve, en effet, des obstacles extérieurs qui peuvent en partie interdire ce genre d’éducation ou le rendre plus difficile
a) Penser par soi-même signifie : chercher la pierre de touche de la vérité en soi – c’est-à-dire en sa propre raison. Et la maxime de toujours penser par soi-même est l’Aufklärung [c’est les Lumières]. Cela suppose bien moins que ne se l’imaginent ceux qui veulent voir l’Aufklärung dans les connaissances acquises ; elle consiste plutôt en un principe négatif de l’usage de la faculté de connaître et il arrive souvent que celui qui est abondamment pourvu de connaissances soit le moins éclairé sur leur usage. Se servir de sa propre raison ne signifie rien de plus que poser cette question au sujet de tout ce que l’on doit admettre : est-il possible de prendre pour un principe universel de l’usage de la raison celui en vertu duquel on admet quelque chose ou bien encore la règle qui dérive de ce que l’on admet. (note de Kant).

Kant, Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ? Vrin, pp. 86-87.


A partir de la lectures attentive des textes de Kant (DM n°1, textes 1 à 4),  vous répondrez aux questions suivantes :

1°) Qu’est-ce que « les Lumières » selon kant ?

2°) Que signifie « penser librement » ? Précisez les différents sens que Kant donne à la liberté de penser. Quels sont les obstacles essentiels à la libre pensée selon Kant ?

3°) Montrez qu’il n’y a pas contradiction entre « penser par soi-même » et « penser en commun avec d’autres ». En quel sens peut-on aller jusqu’à dire qu’il n’est pas possible de « penser par soi-même » sans « penser en commun avec d’autres » ?

4°) Expliquez la distinction opérée par Kant entre l ‘ « usage privé » et l’ « usage public » de sa propre raison (appuyez-vous sur les exemples du texte). Montrez en quoi cette distinction peut permettre de résoudre le problème de la liberté d’expression.

5°) Peut-on penser par soi-même ? En vous appuyant sur ces textes vous vous interrogerez sur les conditions de possibilité d’une libre pensée, ses obstacles, ainsi que les moyens d’une éventuelle libération.

Consigne : ces questions sont destinées guider votre réflexion dans l’explication des différents textes. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que les textes soient d’abord étudiés dans leur ensemble et leur cohérence.

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